Réunion honnête et pleine de classe, technique absolument parfaite, concert important et traité comme tel

Note globale


On ne retrouve que très peu la férocité suintante des lives des années 60, âge des protagonistes oblige

Editeur : Warner Music Vision
Durée totale : 2 h 46

 - (PCM)

Image        PAL

Interview des trois musiciens (16 min 16/9 st fr uk)
Alternate take de Sleepy time time, We're going wrong et Sunshine of your love (24 min, 16/9 DTS)

Oh là là, Madame Galette ! Que vos couleurs sont jolies (nonobstant les reflets mauvâtres) ! Que votre réalisation est sobre et ni bête ni molle ! Et surtout, que votre définition est parfaite ! Sans mentir, Madame, tu niques ta race.
Le PCM est comme on l'attendait : classieux, et le DTS, ultra-précis, ne spatialise évidemment presque rien, mais rend le public d'une façon fantastique. Belle réverb, belle présence, beau caisson de basse, rien à redire, c'est subtil mais magnifique.
Un panorama de tout ce que ce trio sait faire, ça va du blues au jazz en passant par la pop. Les novices risquent de mettre du temps à apprécier, mais dans l'ensemble ces trois papys n'ont pas déçu.
Une interview très bonne et sous-titrée mais qui aurait pu durer le double sans qu'on s'ennuie, et trois chansons en alternate take qui pour une fois méritent vraiment d'être décortiquées. Et aucune pub.

Si le public n'y croyait plus beaucoup, il y en a en tous cas deux qui n'y croyaient plus du tout, avaient enterré l'idée et n'avaient jamais laissé la moindre trace d'hésitation dans leurs réponses : non, Cream ne se reformerait pas. Premier "supergroupe" avant l'heure, ayant duré fort peu longtemps mais ayant laissé une trace indélébile sur le rock psychédélique, le blues anglais, et la pop progressive, à une époque où le progressif n'existait qu'à peine et qu'on était loin de penser qu'il se poppifierait un jour (et un néologisme, un !). Les différends entre Jack Bruce, bassiste volubile et chanteur velouté et Ginger Baker, batteur à l'ancienne et vétéran du rock anglais, étaient trop profonds. Donc, on passe à la question suivante, merci. Et même si ladite question était sans cesse ressassée depuis des dizaines d'années, car ça fait quand même 35 ans que le groupe a splitté, Clapton balançait toujours la même réponse : "non, il n'en est pas question et je n'y pense même pas". C'est ce qu'il nous apprend dans ce DVD, et si les journalistes ne lâchaient pas l'os, nous, public, on s'en était bien rendu compte. Et puis paf ! Sur un coup de tête, Dieu a osé passer un coup de fil au Ginger, et bien sûr à Jack Bruce, peut-être le premier bassiste de rock super-star (ex-aequo avec John Entwhistle).
Mai 2005, le Royal Albert Hall, salle fabuleuse s'il en est, est plein comme un oeuf. Parmi les invités, on reconnaît la coupe caniche d'un certain Brian May, venu applaudir un de ses maîtres. Curieusement, il y a beaucoup de cinquantenaires bedonnants, mais aussi de jolies nymphes court vêtues, le fard aux joues et les mains moites. Pour Dieu ? Pas seulement, car dès le départ, dès la première chanson, hésitante mais dont on a l'impression qu'elle pose la première pierre d'un gros édifice, le public est aux anges équivalent pour Clapton, très effacé (il n'a jamais été le leader du groupe), pour Bruce dont la voix n'a finalement que peu changé (même s'il luttera et perdra contre quelques notes vachardes), et pour Baker qui donne l'impression d'un Charlie Watts (ultra-vieux, mou, au jeu prévisible) sauf que lui a infiniment plus de classe et de groove... Et qu'il finit le set sur "Toad", un solo de batterie un peu trop long (mais on est loin du record du monde qu'il avait battu à l'époque, évanouissement inside), sans flancher. Bref, dès les premières notes, que l'on connaisse le groupe ou pas, on ne peut que se féliciter que les dinosaures aient osé braver en face leurs remords et se soient retendu la main l'espace de 4 soirées magiques. D'ailleurs, le DVD est composé des 4 soirées avec un synthé indiquant les changements de date histoire d'être totalement honnête.
L'honnêteté, parlons-en. Cream ne s'est pas reformé pour remixer, revisiter, mettre à la page leurs compos. Au contraire, c'est une soirée purement revival à laquelle on assiste ici. Le but principal : montrer aux gamins des musiciens ce que leurs pères respectifs faisaient comme métier dans leur jeunesse. De fait, comme on l'a vu ci-dessus, des gamins, il y en a. Des gamines, surtout. Et pour une rare fois, si le public est assis et attentif, ce qui est toujours rhédibitoire pour un concert de rock, il n'est ni lourd ni pataud, et pas absent pour deux sous. Il aide le groupe à aller au bout de ses angoisses, de ses défis personnels (notamment "Pressed rat and warthog" de par son caractère quasi-inédit), du mélange de blues pur et dur et de prog délicieux, et bien évidemment, c'est le principal "défaut" du DVD mais on ne pouvait que s'y attendre, ceux qui seront les plus aux anges seront les jeunes, les nouveaux, ceux qui n'ont pas connu la rage pure, la quasi-violence du Cream des années 60, où Clapton perdait deux kilos par soirée en sueur, comme en témoigne la partie live du monstrueux disque Crossroads, mythe d'entre les mythes et pont parfait entre les sixties et les seventies. Donc on pourra trouver le tout un peu mou malgré tout le bien qu'on pense du trio, et à ce titre il faut se dire que ce n'est pas un concert revival, mais réellement (et sincèrement, ce qui fait chaud au coeur) ce que fait Cream en 2005, après 35 ans d'absence et zéro note de composée ensemble depuis. En celà, ce serait presque un nouveau groupe !
D'ailleurs, ce qui est stupéfiant (no pun intended), c'est qu'à la fin du seul bonus présent, une interview courte (enfin, disons trop courte) mais concise et sans langue de bois, Clapton annonce qu'il se voit bien continuer avec Cream, là où aurait pu parier qu'il nous annonçait que ce serait sans lendemain. D'un autre côté, on a tellement parié sur la non-reformation que même Bruel refuserait de jouer avec Clapton pour cause de bluff aïgu. Au fait, j'ai bien dit : seul bonus ? Pas tout à fait. Dans un souci de préserver le côté historique de cette série de concerts, on a droit à trois titres "alternate takes", à savoir les mêmes chansons que dans le programme principal mais jouées un jour différent (stipulé avant, bien sûr). Ce qui d'habitude fait doublon devient avec Cream le lien sacré avec le fameux Crossroads dont on parlait ci-dessus : oui, les chansons sont différentes. Ici Clapton fait plus de lead que de rythmique, là Bruce a la voix totalement écorchée, ici Baker tente une rythmique de toms différente, là la chanson décolle deux fois plus lentement qu'avant. Bref, même si leurs titres sont souvent à la fois longs et exigeants, les trois gaillards n'ont pas oublié leur racine profonde : le blues hâtif, urgent, totalement improvisé, où la confiance mutuelle est largement plus importante que tous les coups de griffes qu'on peut se donner après le concert.

Pour bien marquer le coup, Warner via sa filiale Reprise (on parle de Clapton, n'oubliez pas) a tenté de faire le maximum. Tenté et réussi. On oubliera la jaquette hideuse, et on s'attardera à peine sur la sympathique pub pour l'album live correspondant, disponible, je cite au mot près, "également en 33 tours, parce que la qualité, ça compte !". C'est pas moi qui le dit ! ^^ Mais restons dans le digital. Et dans le genre "on atomise l'analogique", il faut avouer que ce DVD est en bonne position. Le son d'abord. Le mixage est d'une chaleur à crever, et si le mixage DTS ne va bien évidemment pas vous mettre des synthés, des bruitages et des cordes partout sur l'arrière, il faut avouer que rarement le mixage du public et de la réverb ambiante aura été aussi bien retranscrit sur support optique. C'est beauuuuuuu. Rien de spectaculaire bien sûr, mais le minimalisme a aussi fait ses preuves, vous savez. Comme ça s'applique également aux musiciens, vu qu'à fortiori, moins de trois, ça fait deux, et ça fait peu, on peut dire que cette sortie est quasiment le testament idéal d'un groupe qui mérite largement d'être redécouvert par une jeune génération avide de bends sauvages. Maintenant, imaginez si ce DVD était sorti avec toutes ses (immenses) qualités mais pour un concert de 1969, la furie fatale en prime ! C'aurait mérité notre fameux 10/10, et même en l'état, on s'en approche. Mais pourquoi ce sont toujours les mêmes qui ont droit aux DVDs classe ? Ah oui, parce qu'ils sont classe eux aussi. CQFD.

PS : Lorsque vous lancez les deux DVDs, le concert débute immédiatement. Pas de logos, pas de pub, pas d'inspection du GIGN pour savoir combien de DVDs vous avez honteusement volé. Le bonheur. Merci Warner.

3, 5 & 6 mai 2005 - Royal Albert Hall (Londres, Royaume-Uni)


01. I'm so glad
02. Spoonful
03. Outside woman blues
04. Pressed rat and warthog
05. Sleepy time time
06. N.S.U.
07. Badge
08. Politician
09. Sweet wine
10. Rollin' and tumblin'
11. Stormy monday
12. Deserted cities of the heart
13. Born under a bad sign
14. We're going wrong
15. Crossroads
16. Sitting on top of the world
17. White room
18. Toad
19. Sunshine of your love


Eric Clapton - Chant, guitare, choeurs   
   Jack Bruce - Basse, chant, choeurs
Ginger Baker (quel joli nom) - Batterie, chant, choeurs