Pianiste émérite, orchestre inattendu, quelques parties qui swinguent comme pas permis, son DTS nickel

Note globale


Setlist un peu trop axée sur la mélancolie et la voix solo

Editeur : Eagle Vision
Durée totale : 2 h 17

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Image        PAL

Clips de The Look of Love et Let's Face the Music and Dance (8 min)
Répétitions (15 min, DTS)

La définition, excellente pour l'époque, a pris un petit coup de vieux, et la fluidité colle un peu par moments - mais les caméras se baladent suavement sur tous les protagonistes dans un incessant reflux qui, loin d'être agaçant, donne l'impression d'être un papillon s'invitant sur la scène.
C'est chaud, délicieusement imparfait (les bruits de siège, les respirations), et en DTS spatialisé d'une façon fantastique. Une leçon de jazz en audio, dont la seule erreur est de rendre le guitariste acoustique totalement (mais alors totalement) inaudible. Pas grave, on fera sans.
Pour un premier live, on regrettera une trop grande présence des deux derniers albums, tout un pan de la carrière de la compatriote de Rush étant passé à l'as. Cette frustration est bien compensée par la présence, sublime et judicieusement éparpillée, d'un orchestre aussi doué que pertinent.
Deux clips, sympathiques, et des répétitions qui ne s'attardent pas assez sur les orchestrations et mises en place. Mais ça vous fait une version alternative de trois titres, et en DTS s'il vous plait !

Le jazz est quand même une drôle de musique. Il ne peut être que chaos. Et c'est d'ailleurs dans les moments les plus fous, les plus irratrapables, que le public et les musiciens atteignent la transe ultime. Une expérience scientifique : partir de quelques atomes épars pour se retrouver le jean arraché et le toit du préau avec. Mais curieusement, il existe une frange du jazz, très populaire, pour ne pas dire la plus populaire de toutes, surtout auprès du grand public Américain, avec ses traditions et ses héritages, qui pose problème : les crooners. Eux doivent au contraire chanter des mélodies parfaitement écrites, coulées dans le ciment, mémorisables, chantables par le commun des mortels. Comment alors faire exploser la marmite si on a une division de caporaux SchutzStäfflers gardant l'entrée en guise d'instrument lead ? Il faut un subtil dosage entre précision, virtuosité et sens de l'improvisation, et pour cela, principalement un chef-d'orchestre à l'écoute. Nouvelle égérie du jazz traditionnel moderne (sic), Diana Krall, pourfendeuse des Top 50 américains depuis dix ans, n'a pas d'autre choix que faire les trois jobs à la fois : chanteuse, pianiste, chef de bande. Et quoi de mieux qu'un live, dans la prestigieuse salle de l'Olympia, pour se rendre compte de ses capacités ?
Pour un premier live, la belle Canadienne n'a effectivement pas choisi la plus mauvaise salle. Ni les plus mauvais musiciens. Il est difficile de ne pas être avant tout subjugué par l'excellence de ses acolytes, du légendaire Paulinho DaCosta (très sobre sur ce concert) au déjanté Anthony Wilson qui l'air de rien délivre des parties de guitare assassines avec un son plus clair que de l'eau de roche, en passant par la présence succinte mais fabuleuse de l'Orchestre Symphonique Européen, d'une mièvrerie assumée, recherchée et délicieuse. Au milieu, la chef. Pardon, la Chef. Inutile de dire que c'est elle qui commande, ce que d'ailleurs les répétitions ne font que confirmer. En même temps, me direz-vous, c'est bel et bien elle que les spectateurs sont venus voir et entendre. Surtout voir pour certains. En tous cas, entourée comme il se doit, la voilà face à 1800 paires d'oreilles obligée de cumuler pendant cent dix minutes trois jobs pour un seul salaire. Vous allez voir que ça va encore être la faute d'Eric Woerth.
D'abord, la voix. A coup sûr nombre d'entre vous ont déjà entendu Diana Krall pour sa voix. Et ses passages fréquents à la radio ne doivent laisser personne dupe : joli minois + chant, voilà le secret du succès. Curieusement, ce n'est pas le point fort de la dame. Certes elle possède un joli brin de voix, dont le principal atout est d'être assez posé, grave, presque sombre, revenant au côté un peu gras des idoles du genre (Ella en tête), en évitant les miaulements d'agonie de ses consoeurs parrainées par Doppler Effects Inc. Mais une voix qui en toute sincérité n'a pas non plus le grain, le piqué envoûtant et la justesse hypnotisante qu'on pouvait attendre. Agréable à l'oreille, mais en aucun cas son atout principal, et c'est bien la seule chose qu'on pourrait reprocher à ce concert : trop de moments se reposant exclusivement sur sa voix. Excès de sensiblerie en mode ballades ? Est-ce à cause de Paris, dont on aperçoit quelques clichés volés pendant le film ? Toujours est-il que Diana Krall, ce n'est pas qu'une voix, c'est aussi dix doigts.
Et là, on entre dans la catégorie premium. Véritablement insolente, maîtrisant parfaitement son instrument qu'elle domine physiquement avec une beauté et un panache insolents, Krall fait un boulot agréable en tant qu'accompagnatrice, accords compliqués inclus, mais devient une vraie diablesse dès qu'elle sort des sentiers battus, n'hésitant pas à martyriser ces pauvres touches aigües dans de frénétiques solos où elle n'a pas grand-chose à envier à Bill Evans voire Oscar Peterson, dans la violence de la frappe, la désorganisation chromatique, l'approche quasi-rythmique des solos qui envoient son jazz "doux" dans les stratosphères, très loin des ballades FM où l'on pourrait la cantonner. En prime, n'allez pas croire que le concert se sépare en "dur et bon contre doux et somnifère" : lors des nombreuses accalmies, la blonde pianiste (bien aidée par son bassiste sur ce coup-là) quitte le territoire du jazz pur pour aller farfouiller dans le jardin de sa voisine, la délicieuse bossa-nova. Avec un orchestre symphonique derrière, on a d'appétissantes effluves de Tom Jobim qui remontent...
Et le troisième job, chef de clan ? Alors c'est là qu'on fait la différence entre les vrais jazzmen et les autres ; et indubitablement Diana en fait partie. Elle maîtrise comme un vieux renard les sautes d'humeur, les redémarrages en trombe (avec un sens de la métronomie qui laisse pantois), et toutes les clefs qui ont fait les grandes heures du genre entre 1920 et 1960 - il n'y a qu'à voir à quel point elle domine son sujet en mode trio. Elle n'est pas seule : le bassiste John Clayton (sosie d'Obama dans dix ans) procure une assise plutôt solide, et le batteur Jeff Hamilton sous ses airs de ne pas y toucher peut dégainer plus vite que son ombre. Si on rajoute les shreds faramineux de Wilson, ça nous donne un quatuor qui pète le feu, et on n'a qu'une envie : les revoir avec une setlist plus axée sur les prouesses et le swing cabot. Et si possible ailleurs qu'à Paris, car, preuve ultime que Krall est plus qu'un joli visage sans personnalité, elle doit à trois reprises remettre dans le droit chemin un public bien typiquement français qui applaudit en rythme Chantal Goya-way-of-life. Et les trois fois, elle gagne. Chapeau bas Madame. Nous, on n'y arrive pas.

DVD Eagle Rock oblige, le tout est fort agréable sur nos téléviseurs. L'image est plaisante, douce, dôtée d'une réalisation suave qui privilégie l'intime sans oublier les solos. Les bonus sont mignons, sans plus : deux clips, dont un assez sympathique, et trois répétitions qui sont en fait plus des filages, tant les chansons sont jouées en entier sans accroc ni remise en question. Répétitions en DTS s'il vous plait. Et c'est important, car le principal atout de ce disque, à part la main droite insolente de Diana, c'est bien un DTS chaleureux, précis, qui n'hésite pas à spatialiser le piano et l'orchestre, avec séparation des vents et des cordes. Un petit bijou du genre. Du coup, on est encore plus grincheux lorsque le temps est à la ballade piano/voix trop douceâtre : faites péter la guitare et les cymbales, vingt dieux ! On a déjà eu assez de la petite Norah Jones qui s'est liquéfiée dans un océan de barbapapa ; pour une fois qu'on tient une jazzeuse qui mélange succès public et tenue de catwoman avec fouet et bracelet à clous (au sens figuré), il serait dommage de ne pas la monter dans les tours. Comme elle a l'air d'aimer ça, personne ne se plaindra. A part votre voisin qui était content que vous arrêtiez d'écouter du Slayer pour vous mettre à "une musique douce sans DTS qui pète".


23-11-2010

2 décembre 2001 - L'Olympia (Paris)


01. I love being here with you
02. All or nothing
03. Let's fall in love
04. The look of love
05. Maybe you'll be there
06. Deed I do
07. Devil may care
08. Cry me a river
09. Under my skin
10. East of the sun
11. I get along
12. Pick yourself up
13. S'wonderful
14. Love letters
15. I don't know enough about you
16. Do it again
17. A case of you


Diana Krall - Chant, piano   
   Jeff Hamilton - Batterie
John Clayton - Contrebasse   
   Anthony Wilson, John Pisano - Guitare
Paulinho DaCosta - Percussions   
   Alan Broadbent, Claus Ogerman - Direction d'orchestre
Orchestre Symphonique Européen - Cordes et cuivres   
   Paris Jazz Big Band - Cuivres